Aimé Césaire...
Il s'en va, et je me sens profondément orpheline.
Bien que Père spirituel, Poète talentueux et homme politique respecté, c'est à
"Papa Césaire" que je voudrais rendre hommage.
Il m'a appris à être Fière.
Fière de mon nez épaté, de mes lèvres pulpeuses, de mes pupilles noires,
des mes cheveux drus et frisés, de ma chute de rein, de mon postérieur insolent
et de ma peau gorgée de mélanine.
Il m'a appris à être fière d'être Négresse.
Il m'a appris à appréhender les codes de notre société insulaire avec un œil
critique, à m'interroger sur nos rapports souvent contradictoires avec la
France et avec l'Afrique.
Il m'a appris à questionner le passé, à sonder mes angoisses.
Il m'a appris à me rejeter pour mieux m'accepter, accepter mon peuple, me
réconcilier avec mon histoire pour enfin être fière de ce que je suis et de ce
que nous sommes.
J'essaie de retenir entre mes doigts chaque minute qui file et qui nous éloigne
un peu plus de toi, chaque minute qui te sépare un peu plus de notre monde.
J'essaie de me convaincre que ton esprit et ton enseignement seront toujours
là.
Que tu nous accompagneras sur cette route qui me semble encore longue,
tellement longue...
Ô Césaire, et dire que quelques semaines encore, avant que tu rendes l'âme, des
hommes jetaient encore des bananes à d'autres sur des terrains de football....
J'essaie de retenir entre mes doigts chaque minute qui file car je sens au fond
de moi que ta mort, ta vie, ton parcours, doivent restés gravés dans mon cœur
et dans ma mémoire pour le restant de ma vie.
Et je relis tes ouvrages pour mieux m'imprégner ta pensée, je les dévore,
m'engage dans une course contre la montre en me disant, même si c'est absurde,
que si jamais j'ai un nouveau doute, une dernière question, il faudra que je te
la soumette avant qu'on t'emmène sous terre...avant que l'enigme parte avec toi au tombeau.
J'essaie de retenir entre mes doigts chaque minute qui file car je sens au fond
de moi que ta mort, ta vie, ton parcours, sont un lourd héritage que je me
devrai de transmettre.
Aimé Césaire s'est éteint le 17 avril 2008 à Fort-de-France à l'âge de 94 ans.
J'avais 24 ans.
...
"Et il y a le maquereau nègre, l'askari nègre, et tous les zèbres se
secouent à leur manière pour faire tomber leurs zébrures en une rosée de lait
frais." Cahier d'un retour au pays natal.
Non, Monsieur Aimé Césaire, mes zébrures je les aime, je les porte en
bandoulière, je les brandis en étendard!
...Et puis de toute façon, je n'ai jamais aimé le lait.
Pour rien au monde je ne voudrai échanger ma peau noire contre une peau
blanche.
J'aime bien trop ce que je suis.
Pourquoi envier la peau d'un autre quand on est bien dans la sienne?
Il faut savoir s'aimer soi, pour mieux tendre la main à l'autre.
Etre fier et trouver sa place, se regarder, tous, d'égal à égal, aller l'un
vers l'autre sans peur, sans à priori, et regarder l'avenir ensemble.
La Fierté et la Soif de l'Autre, voilà ce que tu m'as appris et ce que je
voudrais transmettre aux autres.
Césaire disait que la négritude est le concept qui fait que des noirs, d'où
qu'ils viennent, du Mali, de la Martinique, des Etats Unis par exemple,
puissent s'assoir à une même table et discuter ensemble.
Ce soir, j'aimerais que nous soyons tous nègres.
"Ceux qui sont morts ne sont
jamais partis
Ils sont dans l'ombre qui
s'éclaire
Et dans l'ombre qui
s'épaissit,
Les morts ne sont pas sous la
terre
Ils sont dans l'arbre qui
frémit,
Ils sont dans le bois qui
gémit,
Ils sont dans l'eau qui
coule,
Ils sont dans l'eau qui
dort,
Ils sont dans la case, ils sont
dans la foule
Les morts ne sont pas
morts."
In Birago Diop, Les contes d'Amadou Koumba
RIP